L’origine mystique de Montréal

 
 

Vénérable Jérôme Le Royer et la Fondation des Hospitalières

Les Jésuites de la Nouvelle-France avaient l’habitude d’envoyer un journal annuel intitulé Les Relations des Jésuites. Publiées dès leur arrivée à Paris, ces écrits constituaient une sorte de roman d’aventures particulièrement apprécié et attendu. Dans toutes les classes de la société, on les lisait avidement, et on peut dire que cette lecture provoqua à elle seule un grand nombre de départs de gentilshommes, de bourgeois, d’artisans, de cultivateurs pour le Canada, sans parler des vocations religieuses.

Un gentilhomme de La Flèche, en Anjou, Jérôme Le Royer de La Dauversière, nourrissait un ardent désir de contribuer à l’évangélisation du Canada. À l’approche de ses 33 ans, Jérôme Le Royer se rendit à la chapelle Notre-Dame du Chef du Pont de La Flèche pour la fête de la Purification. C’était le 2 février 1630. Dans la chapelle, chaque fidèle, son cierge à la main, écoutait, recueilli, les profondes paroles du texte liturgique : « Et ta louange s’étend jusqu’aux confins de la terre. »

Jérôme Le Royer et sa Vision de la Sainte Famille

Jérôme le Royer et sa vision de la sainte Famille

Au moment de la communion, Monsieur de La Dauversière entendit une voix intérieure, pressante : « Mon fils, consacre-toi, avec ta femme et tes enfants, à la Sainte Famille. Tu fonderas un Ordre de religieuses et tu les consacreras à mon Père nourricier, Joseph. Ces religieuses iront à Montréal, au Canada, et y fonderont l’Hôtel-Dieu. »

En 1633, Jérôme Le Royer fut gravement malade et reçut le sacrement des mourants. Durant sa maladie, il profita de l’occasion pour élaborer son projet de fondation. Il eut des conversations mystiques avec le Christ et écrivit plusieurs cahiers de ses dialogues. Grâce à Dieu, il se rétablit de sa maladie.

En janvier 1635, Jérôme se rendit à la Cathédrale Notre-Dame de Paris pour prier la Vierge Marie. Après la communion, pendant sa prière fervente, il se retrouva en présence de la Sainte Famille. Marie, le prenant par la main, le présenta à Jésus en disant : « Voici votre serviteur fidèle. » Le Seigneur le reçut avec bonté et lui dit : « Vous serez désormais mon serviteur fidèle. Je vous revêtirai de force et de sagesse, vous aurez pour guide votre ange gardien. Travaillez fermement à mon œuvre. Ma grâce vous suffit et ne vous manquera point. »

En 1636, il posa les bases de la confrérie de Saint-Joseph, qui deviendra l’Institut des Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph. Jérôme Le Royer rénova l’aumônerie Sainte-Marguerite de La Flèche, la transforma en hôpital et lui donna le nom d’« Hôtel-Dieu ». Ces bâtiments délabrés, qui servaient d’abris pour les pauvres, portaient le nom de « Maison-Dieu ».

Éventuellement, la première candidate de la future communauté, Marie de la Ferre, lui fut révélée et le premier chapitre des constitutions lui fut dicté. Comprenant à la fois ce qui était exigé de lui et ses propres limites, Jérôme s’écria dans une grande angoisse : « Hélas ! Seigneur, qui suis-je pour entreprendre une si grande œuvre ? » Il reçut cette parole de Dieu : « Obéis, obéis, ma grâce te suffit. » Jérôme rentra chez lui pour écrire les ordres reçus du ciel et le premier chapitre des constitutions de la future congrégation, qui porte aujourd’hui le nom de « Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph ».

Vision de l’île de Montréal

Des révélations vinrent bientôt confirmer la vocation providentielle du pieux laïc. Un beau matin de 1640, alors qu’il lisait une des Relations qui parlait de l’île de Montréal comme étant le lieu le plus approprié du pays pour établir une mission et accueillir les « sauvages » (selon L’Histoire de Montréal de François Dollier de Casson, sulpicien, arrivé au Canada en 1666), il eut une vision mystérieuse qui lui montra clairement, et avec une parfaite vérité, le site même de Montréal. Monsieur de La Dauversière ne douta pas un instant que cette vision était une invitation précise de la Providence. Il en parla à son confesseur, le révérend Père Chaveau, recteur du Collège de La Flèche, qui ne fit que confirmer son sentiment. Il fit bientôt partager son enthousiasme mystique à un certain Baron de Fancamp, « un gentilhomme fort riche qui était récemment venu demeurer chez lui, comme dans une école de piété, afin d’apprendre à bien servir Notre Seigneur ».

La Rencontre Providentielle avec le Père Jean-Jacques Olier

En 1640, Jérôme Le Royer se rendit à Paris accompagné de son associé, Pierre Chevrier, Baron de Fancamp, et présenta un projet de mission au Père Charles Lalement, procureur des missions des Jésuites au Canada. Le Père Lalement fut le premier supérieur des Jésuites à Québec (1625–1629), missionnaire à Québec (1634–1638) et procureur à Paris pour la mission de la Nouvelle-France (1638–1650). Jérôme rencontra ensuite Pierre Séguir, chancelier de France, au château de Meudon, où il fit la connaissance de l’abbé Jean-Jacques Olier, fondateur du Séminaire de Saint-Sulpice. Monsieur Olier, lui aussi, reçut des révélations concernant Montréal. Comme Monsieur de La Dauversière, il eut une vision de la situation géographique de l’île et de son avenir providentiel. Olier et Le Royer furent ainsi animés par le même désir d’évangélisation en établissant une mission en Nouvelle-France. Olier dira plus tard : « Montréal, où l’on doit bâtir la première chapelle sous le titre de la Sainte Vierge, et une ville chrétienne sous le nom de Ville-Marie, ce qui est une œuvre d’une merveilleuse importance. »

Jean-Jacques Olier

Jean-Jacques Olier

Ensemble, Le Royer et Olier fondèrent une société missionnaire, qui prit le nom de société « Notre-Dame de Montréal ». En 1640, la société acquit l’île de Montréal. Le contrat de cession fut signé à Vienne le 7 août 1640, et l’acquisition eut lieu le 7 décembre.

Olier, La Dauversière, Fancamp… La Société de Montréal était ainsi virtuellement constituée. On se rendit propriétaire du lieu, qui avait été donné à Jean de Lauson, intendant du Dauphiné, et l’on chercha un chef pour mener à bien l’expédition et fonder le nouveau peuplement. Le Père Jésuite Charles Lalement, qui s’était impliqué dans la transaction avec Lauson, répondit : « Je connais un brave gentilhomme champenois nommé Monsieur de Maisonneuve, qui a toutes les qualités requises et qui serait parfaitement adapté pour cette mission. »

Départ pour la Nouvelle-France

Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, était effectivement l’homme qu’il fallait : mystique mais pragmatique, idéaliste mais réaliste, brave mais sensé, pieux et vertueux mais compréhensif et charitable, ferme mais juste. On pourrait dire de lui qu’il était un moine laïc. Il quitta La Rochelle avec deux navires en juillet 1641. En plus d’une trentaine de colons (d’autres étant partis simultanément de Dieppe), il emmenait avec lui une femme de la Champagne, Jeanne Mance, originaire de Langres, aussi déterminée que lui à répondre à l’appel du Canada !

Dans l’Atlantique, une tempête sépara les deux navires. Celui qui transportait Mademoiselle Mance arriva à Québec le 8 août, tandis que celui de Maisonneuve n’arriva que le 20 août. Ce fut pour y trouver dix futurs Montréalais, venus de Dieppe (ainsi surnomma-t-on les premiers habitants de Montréal), « déjà occupés à bâtir un magasin sur le bord de l’eau, dans un endroit qui avait été donné par M. de Montmagny pour la Compagnie de Montréal ».

La Croix du Mont-Royal

Le 17 mai 1642, Maisonneuve, Jeanne Mance, trois autres femmes et environ quarante hommes débarquèrent sur l’île de Montréal, où Ville-Marie fut fondée.

En décembre 1642, le fleuve Saint-Laurent déborda soudainement, menaçant d’engloutir le fort de Ville-Marie. Monsieur de Maisonneuve promit de porter seul une croix au sommet de la montagne et de la planter là, si Dieu préservait l’établissement de l’inondation. Dans la nuit du 25 décembre, les eaux dévalèrent en grosses vagues, remplissant les fossés du fort et semblant vouloir tout emporter. Mais elles s’arrêtèrent au seuil de la porte, puis se retirèrent. 

Le 6 janvier 1643, jour de la fête des Rois, tout étant prêt, la croix fut bénie solennellement. La procession se mit en marche ; Monsieur de Maisonneuve plaça la lourde croix sur ses épaules, et la porta seul, l’espace d’une lieue. Quand la croix fut en place, le Père Duperron célébra la sainte messe et plusieurs personnes communièrent, nommément madame de La Peltrie. Cette croix, contenant de précieuses reliques, devint l’objet de pieux pèlerinages. 

 

Sources :

Les Français au Canada (du Golfe Saint-Laurent aux Montagnes-Rocheuses), par Cerbelaud Salagnac, Éditions France-Empire, 68, rue Jean-Jacques Rousseau – Paris (1er), 1963.

http://www.cursillos.ca/action/modeles/101m-jerome-le-royer.htm