Les cendres de la statue de Notre-Dame-de-Liesse

Trois croisés faits prisonniers :

Tout a commencé en 1134, dans le bourg d’Ascalon, à 20 kilomètres de Jérusalem, lorsque les croisés se battèrent fermement contre les Sarrasins. Une troupe de vaillants croisés dirigés par Foulques d’Anjou, troisième roi de Jérusalem, défend le tombeau du Christ conquis par Godefroy de Bouillon. Hardiment, ces braves Chevaliers font leur métier de soldats avec courage que renforce leur qualité de chrétiens. Ce sont, en effet, des chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Soulevés par la chaude parole des prédicateurs de France, ils se sont engagés par vœu dans l’héroïque croisade. Hélas ! L’ennemi est en surnombre… Un corps de cavaliers pique des éperons vers les croisés, quelques-uns sont tués, d’autres blessés. D’autres encore, victimes d’un guet-apens, tombent aux mains des Musulmans. Parmi ces infortunés, se trouvent trois jeunes Français de la région de Laon. Les voilà prisonniers et bientôt emmenés au Caire, en Égypte. Enfermés dans une tour obscure, n’ayant pour nourriture que du pain et de l’eau, éloignés de leur patrie, sans nouvelles de leur mère, les voilà bien malheureux ! Ne vont-ils pas s’abandonner au désespoir ? Oh ! Non. Ils appellent Dieu à leur aide, s’encouragent mutuellement, et font contre mauvaise fortune bon cœur. Leur Dieu n’est-il pas tout-puissant ? S’il lui plaît de les délivrer, tous les Musulmans du monde ne pourront l’en empêcher. C’est précisément ce qui arrivera de façon merveilleuse, mais nous n’en sommes pas là, et nos chevaliers devront encore beaucoup souffrir.

En Egypte, El-Afdhal, ravi de la capture de ces Chrétiens, se frotte les mains et dit à ses marabouts : « allez voir de ma part les trois chevaliers. Efforcez-vous de les amener à se faire musulmans et je vous récompenserai ». Les envoyés pénètrent dans la prison, et avec beaucoup d’intelligence, s’efforcent de gagner la sympathie des jeunes gens en leur témoignant tout d’abord de l’intérêt. Ils en vinrent peu à peu à discuter religion. Nous pouvons nous imaginer ce que fut cet entretien :

– Faites-vous musulmans et le Sultan vous délivrera. – C’est nous faire acheter trop cher notre liberté, répond l’un des prisonniers. – Tu ne peux mettre en parallèle les intérêts de notre âme immortelle et ceux de cette vie passagère, ajoute l’autre. – Quand bien même je devrais rester ici jusqu’à la mort, je ne renierai pas mon baptême, affirme le troisième. Cachant son désappointement sous une feinte amabilité, un marabout leur dit : – Ignorez-vous que le Sultan peut vous mettre aux entraves, vous torturez, vous faire mourir ? – Ton maître fera de nous ce qu’il voudra. Nous sommes au Christ. Sur ces affirmations courageuses, les envoyés du Sultan tournèrent les talons et rendirent compte à El-Afdhal de ce qui se passait : – Tu n’arriveras pas à faire apostasier ces chiens de chrétiens ! Ils ne craignent ni les tourments, ni la mort.
– Ah ! Ah ! dit le Sultan. C’est ce que nous verrons. Ayant longuement réfléchi aux moyens à employer pour vaincre l’obstination de ses prisonniers, l’infidèle se dit : « j’ai une idée ! Je leur enverrai ma fille Ismérie. Elle est agréable de visage, elle ne manque pas d’esprit. Ce que mes marabouts n’ont pas obtenu par la discussion, ma fille l’obtiendra par sa diplomatie. » Et il envoya chercher la princesse. Cette jeune fille était en effet charmante, enjouée comme une enfant, intelligente, douce et aimable plus que toute autre. Entendant son père lui confier cette mission, elle répondit joyeusement :  » Ne craignez rien, mon père. J’en fais mon affaire. »

La princesse qui comptait vaincre est vaincue:

La fille du Sultan, pour complaire à son père, s’en va dans la prison pour gagner tout de bon ces trois Chevaliers frères. Dans le cachot ténébreux, les prisonniers sont étendus. Ils échangent tristement leurs réflexions : – Quand reverrons-nous notre mère ? – La reverrons-nous seulement ? – Quand elle apprendra notre sort, elle mourra de chagrin. – Pourquoi nous tourmenter inutilement ? Et d’abord, pouvons-nous deviner ce que nous réserve l’avenir ? – Demandons à Dieu de nous aider – Oui, oui. Prions aussi sa mère, et confions-nous à Elle. Soudain, les prisonniers sont intrigués par ce qui se passe dans le couloir. Qu’est-ce que ce bruit de pas ? Ce n’est pas l’heure de la visite de nos geôliers. Parmi ces voix d’hommes, on entend une voix de femme. Qu’est-ce que cela signifie ? Les jeunes gens sont bientôt fixés en voyant pénétrer près d’eux la charmante princesse. Les présentations ne furent pas longues : – Je suis la fille du Sultan. Vous n’ignorez pas que mon père, mécontent de votre attachement au christianisme, a résolu votre perte. Je suis venue pour vous délivrer, si toutefois vous consentez à ce qu’il désire. Et, montrant une bourse pleine d’or : – Voyez, ceci vous appartient si vous consentez à renoncer au Christ. Ismérie ignore complètement la religion chrétienne, elle sait que les musulmans n’aiment pas les chrétiens, que son père les déteste. Or, il a certainement raison, comment pourrait-il se tromper ? Ce sont là tous ses arguments. Elle croit en Dieu Créateur, puisque Mahomet y croit. La simplicité de la princesse, sa sincérité, touchent le cœur des prisonniers. Plus attendris qu’alarmés, ils lui disent : – Savez-vous bien ce que vous demandez ? … Sans doute, vous ignorez que ce Dieu, que vous adorez comme nous, nous a tellement aimés qu’il nous a envoyé son Fils Jésus sur la terre et qu’il s’est choisi une Mère parmi nous ? C’est la Vierge Marie. Jésus, Fils de Dieu, que vous appelez aussi prophète après Mahomet, nous a appris ce qu’il fallait faire pour aller au ciel. Il s’est laissé crucifier pour nous. Et vous voudriez que nous le trahissions ? La princesse stupéfaite écoute attentivement cette première leçon de catéchisme. Elle ne peut en croire ses oreilles. Elle questionne : – Vous me parlez de Jésus et de Marie, je voudrais les voir – Vous les verrez plus tard si vous devenez chrétienne

– Ne pourriez-vous au moins me sculpter une image ? Hélas ! Les prisonniers sont des soldats et non des sculpteurs. Inspirés d’en haut, ils répondent : – Faites-nous apporter du bois et des outils. Ismérie le leur promet.

L’embarras des Chevaliers:

Tandis que, toute songeuse, la princesse rentrait au palais de son père, les chevaliers se dirent entre eux : – Comment lui taillerons-nous cette statue ? Demandons à la Vierge Marie de nous tirer d’embarras afin que cette jeune fille devienne un jour chrétienne. En possession du bois et des instruments pour travailler, ils restèrent rêveurs. – Bah ! dit l’un d’eux. Nous verrons demain comment nous en tirer. La nuit est venue, dormons en paix.  » De nuit l’Ange de Dieu apporta dans ce lieu l’image de la Vierge. »
O prodige merveilleux ! Tandis que ses trois serviteurs reposaient sous la protection de leurs anges gardiens, « la reine du ciel introduisit auprès d’eux son image rayonnante de piété et sculptée par miracle ». Voilà ce que disent les historiens. La statue était petite, de bois noir, elle représentait la Vierge tenant son Fils debout sur ses genoux.

La vision merveilleuse:

A leur réveil, les prisonniers se virent entourer d’une éblouissante lumière qui jaillissait de la statue miraculeuse. Un parfum céleste émanait de ce bois venu du ciel. Tous trois tombèrent à genoux, vénérant cette sainte image avec joie extraordinaire. Dès l’aurore, la fille du Sultan se présente à la prison. A la vue de ce spectacle, elle resta figée sur place, en proie à une indicible émotion. Les Chevaliers lui racontèrent ce qui s’était passé, leur embarras, leur prière, le miracle. Ismérie s’écria : – Certainement, Dieu seul a pu faire cela. Votre religion serait-elle donc la vraie ? Donnez-moi votre statue et je me ferai chrétienne. Les croisés avaient peine à se séparer de cette merveilleuse image. Cependant songeant que la conversion de la princesse serait peut-être le fruit de leur sacrifice, ils lui dirent :- Prenez-la, mais à condition qu’elle ne soit pas profanée. Ismérie, dissimulant le précieux objet sous ses amples vêtements et voiles, l’emporta joyeusement dans ses appartements où elle le cacha.

Notre Dame apparaît à Ismérie:

La nuit suivante, Notre Dame lui apparut : -« Aie confiance, j’ai prié pour toi mon Fils et Seigneur, il a daigné te choisir comme sa fidèle et bien-aimée servante. Tu délivreras de leur prison mes trois dévots chevaliers, tu seras baptisée, par toi la France sera enrichie d’un trésor incomparable, par toi, elle recevra d’innombrables grâces, par toi, mon nom deviendra célèbre et plus tard, je te recevrai pour toujours dans mon paradis. »

A la suite de cette grâce, Ismérie résolut de se faire chrétienne, et pour se faire chrétienne, de quitter le pays des infidèles. Pour sauver du cachot les trois chevaliers, elle étudia un plan d’évasion qu’elle leur soumit. Comment les gardiens se seraient-ils méfiés de la fille du Sultan ? En pleine nuit, tandis que ceux-ci dormaient, la courageuse jeune fille fait sortit clandestinement les prisonniers. Portant sous son manteau la miraculeuse statue, elle s’enfuit avec eux à la faveur des ténèbres. Cela fait, le petit groupe hâtant le pas quitte le Caire avec diligence dans la crainte d’être poursuivi. Tous quatre se heurtent devant la barrière du Nil. Comment le traverser ? La légende raconte qu’une barque se trouvait à proximité. Vite, les évadés y descendent, passent sur l’autre bord. Sans s’attarder, ils continuent leur route à si vive allure que, la fatigue survenant, ils doivent s’arrêter. Ils s’étendent à l’entrée d’un bois. L’un après l’autre, les fugitifs s’endorment d’un profond sommeil.

Le réveil en France:

A l’aurore, la jeune fille s’éveilla la première, se frotta les yeux, ne reconnut plus le paysage des bords du Nil. Elle considéra, stupéfaite, une petite fontaine qui coulait non loin d’elle. Un berger conduisait son troupeau en s’accompagnant d’une cornemuse. Au bruit de son chant les jeunes gens s’éveillèrent. Leur stupeur égala celle d’Ismérie. Ils interrogèrent le berger :

– Où sommes-nous ?

– À Liance, près du château de Marchais, non loin de Laon. Liance était un hameau perdu au milieu des bois et des marécages. Liance au XV° siècle changea son nom en celui de Liesse qui veut dire « JOIE » tant la Vierge Marie, par ses faveurs, comblait de joie les pèlerins.

– Comment ! dit l’un des croisés, mais j’en suis le seigneur. O délicatesse de la Sainte Vierge ! Le village de Marchais ; c’était l’endroit où vivait la mère des croisés. Tout en conversant avec le berger, les trois jeunes gens se dirigeaient vers leur château familial. Leur joie était telle qu’ils oublièrent la princesse. Celle-ci ne les voyant pas revenir eut un moment d’effroi. Déjà, elle se voyait seule dans ce pays inconnu. Aussi se mit-elle à courir après les chevaliers de toute la vitesse de ses jambes, oubliant à son tour, près de la fontaine, la statue de la Vierge. La jeune fille rejoignit le petit groupe et continua à marcher en sa compagnie. Les voyageurs avaient déjà fait une longue route lorsque Ismérie s’écria : – « Mon Dieu ! la statue ! » Faisant volte-face, tous retournèrent ensemble à la fontaine, et trouvèrent la Vierge en partie recouverte d’eau. La princesse eut vite fait de la retirer de l’eau et de s’en emparer, et tous joyeusement reprirent la route du château. En marchant, ils se confiaient l’un à l’autre : – « La Vierge Marie nous a sauvés. Que ferons-nous pour lui témoigner notre reconnaissance ? Si nous lui bâtissions une chapelle ? » Le sol était marécageux, ils avançaient toujours, espérant trouver plus loin un terrain solide. Ils traversèrent un jardin. A cet endroit, la statue devint lourde, lourde… Impossible de continuer à la porter. Les voyageurs comprirent la signification de ce nouveau prodige : – C’est ici que la sainte Vierge veut avoir sa chapelle. Elle l’aura. Nous en faisons le vœu. Séance tenante, la statue reprit son poids normal. Les jeunes gens, continuant leur route se disaient : « Notre mère mourra de joie en nous revoyant. Elle nous croit prisonniers en Egypte. Faisons-là plutôt prévenir doucement, qu’elle puisse se préparer à l’émotion du revoir. » Ils lui envoyèrent un messager, et, durant ce temps, s’étendirent à l’ombre des grands arbres. La mère prévenue, tous coururent au-devant d’elle. Au milieu des effusions du revoir, ils rendirent grâces à la Vierge de leur avoir accordé une telle joie. Qu’étaient leurs souffrances en Egypte ? A peine en gardaient-ils le souvenir ! Ils étaient en France, chez eux, protégés par le ciel d’une façon magnifique. Oh oui, vraiment, ils vivaient leur vie en action de grâces.

La statue s’échappe:

Les voyageurs, on l’a vu, s’étaient réveillés près d’une fontaine. Ils résolurent de bâtir, là aussi, une petite chapelle et d’y abriter la statue. Pourquoi déposèrent-ils la sainte image en cet endroit, alors que la Vierge Marie avait signifié son désir d’être honorée dans le jardin où elle s’est faite si lourde ? Ce jardin appartenait à un particulier, les chevaliers hésitèrent-ils à demander la permission au propriétaire ? Nous l’ignorons.

La statue fut pieusement placée près de la fontaine et les jeunes gens rentrèrent chez eux. Dès le lendemain, ils revinrent la visiter. O stupeur ! Elle avait disparu. Qu’était-elle devenue ? Avec douleur on la recherche. On la retrouve dans le jardin où elle s’était faite si lourde. Les chevaliers conclurent décidément que la Vierge voulait demeurer à cet endroit, là même où, tout d’abord, ils lui avaient promis un sanctuaire. Ils firent les démarches nécessaires, et en attendant qu’une belle chapelle fut construite, abritèrent la statue dans une petite niche en branchages.

  1. Que devinrent dans la suite les Chevaliers.

S’il faut en croire une tradition du XVI° siècle, les chevaliers étaient fils de Guillaume 1er, sire d’Eppes, qui fit une donation à l’abbaye de Saint-Martin de Laon. Ils avaient nom : Jean, Hector et Henri. On les appelle tour à tour les chevaliers d’Eppes, les chevaliers de saint Jean de Jérusalem ou de Malte. Leur mission terminée, on croit qu’ils retournèrent dans une maison de leur Ordre.

Quant à la princesse Ismérie, elle se fit instruire de la religion chrétienne, abjura le coran, reçut, avec le nom de Marie, le baptême des mains de l’Évêque de Laon, Barthélemy de Vir, le 8 septembre 1134. Elle vécut saintement près de la mère des chevaliers à Marchais, mourut jeune et fut inhumée dans le sanctuaire.

Les cendres de la statue à Montréal :

Mais éclata la Révolution française, qui n’épargna, dans ses fureurs, ni le bourg ni l’église de Liesse. De la statue précieuse jetée au feu, il ne resta que des débris calcinés qui furent heureusement recueillis. Et l’on peut dire qu’on la vit deux fois renaître de ses cendres, du moins par la vertu que cette poussière miraculeuse communiqua aux statues qui la remplacèrent successivement : une première, dans laquelle on introduisit les charbons précieusement conservés jusqu’à la restauration du culte ; puis une statue neuve inaugurée au couronnement de Notre-Dame-de-Liesse, en France, et qui en recèle également une partie. La première, presque entièrement refaite par un artiste, est celle dont on gratifia les Jésuites du Canada. Ce trésor fut apporté à l’église du Gesu de Montréal en 1877 par le Père François de Sales Cazeau. À partir de ce moment, l’église devint un lieu de pèlerinage officiel dédié à Notre-Dame. 

 

Sources:

Des documents historiques du XVI° siècle nous le témoignent, il suffit de les consulter. Voici ces documents :  Annales de l’Ordre des Chevaliers de saint Jean de Jérusalem :

-De l’an 1146, Melchior Bandini y raconte les origines de Notre Dame de Liesse. Bosio un siècle plus tard, nous a conservé ces pages. Une inscription précieuse, celle de 1134, année où l’histoire place le miracle, fut retrouvée providentiellement en 1721.

– Une lettre de Clément VII datée d’Avignon, le 28 mai 1384 dit que « dans la chapelle de Notre Dame de Liesse, Notre Seigneur Jésus-Christ, à la prière de la Vierge Marie, prodigue un si grand nombre de miracles que les peuples y accourent de tous les points du monde ». Et il accorde des indulgences aux pèlerins.

– L’histoire de Notre Dame de Liesse, d’après le plus ancien texte connu, par le Comte de Hennezel d’Ormois.