Jeanne Le Ber
Jeanne Le Ber est née le 4 janvier 1662, à Montréal, du mariage de Jacques Le Ber et de Jeanne Le Moyne. Elle fut baptisée le jour de sa naissance par l’abbé Gabriel Souart, et elle eut Paul de Maisonneuve pour parrain et Jeanne Mance pour marraine. Très jeune encore elle s’intéressait à la vocation religieuse et rendait de fréquentes visites à Jeanne Mance et aux religieuses hospitalières. Pour couronner ses études, elle passa trois ans, de 1674 à 1677, pensionnaire au couvent des Ursulines de Québec où enseignait sa tante, Marie Le Ber, dite de l’Annonciation. Jeanne fit grande impression sur les Ursulines par ses nombreux actes de renoncement, de sorte que ces religieuses furent très déçues de la voir retourner, à l’âge de 15 ans, dans sa famille à Montréal. C’était une jeune fille d’un esprit méditatif, repliée sur elle-même et peu expansive, qui consacrait une grande partie de ses journées à la prière et à l’adoration du Saint Sacrement. L’amitié qui la liait à Marguerite Bourgeoys allait grandement influencer son avenir.
Cependant, elle semblait assez fière de son appartenance à un rang social élevé, et il lui faisait toujours plaisir de voir ses qualités et ses talents mis en évidence et lui attirer des éloges. Fille unique de Jacques Le Ber – elle avait trois frères, plus jeunes qu’elle – Jeanne, dont la dot se montait à quelque 50 000 écus, était considérée, à juste titre, comme l’un des meilleurs partis de la Nouvelle-France.
Profondément affectée par la mort d’une religieuse de la congrégation de Notre-Dame en 1679, elle chercha conseil auprès de l’abbé Seguenot, prêtre sulpicien et curé de la paroisse de la Pointe-aux-Trembles (Montréal), qui allait rester son confesseur par la suite. Jeanne décida alors de mener une vie de recluse pendant cinq ans et, avec la permission de ses parents, elle se retira dans une cellule située à l’arrière de la chapelle de l’Hôtel-Dieu, chapelle qui servait d’église paroissiale à l’époque. Elle multiplia les actes de mortification : elle portait un cilice sous ses vêtements et des chaussures faites de paille de blé d’Inde ; elle se refusait à tout entretien avec sa famille et avec ses amis, et on dit même qu’elle se flagellait. Elle ne sortait de sa réclusion que pour assister à la messe chaque jour.
Jeanne ne se décidait pas à entrer dans un ordre religieux et à prononcer des vœux perpétuels, mais il devint évident qu’elle était bien décidée à fuir la vie attrayante que lui offrait sa famille. En novembre 1682, elle ne voulut même pas se rendre auprès de sa mère mourante, et plus tard elle refusa d’assumer la tenue de la maison pour son père, devenu veuf.
Elle préféra, le 24 juin 1685, prononcer un vœu simple de réclusion, chasteté et pauvreté perpétuelles. Ses directeurs spirituels, les abbés Dollier de Casson et Seguenot, l’encouragèrent à continuer ses pratiques pieuses. Son état de pauvreté et d’isolement n’était toutefois pas absolu puisque, comme il convenait à une personne de son rang, elle retint auprès d’elle durant toutes ses années de réclusion une suivante, sa cousine Anna Barroy, qui veillait à ses besoins matériels et l’accompagnait à la messe. Se disant faible physiquement, elle ne se privait pas de viande comme le faisaient les adeptes de l’observance rigoureuse au 17e siècle. Quand son frère Jean-Vincent fut tué par les Iroquois en 1691, ses vœux ne l’empêchèrent pas de se rendre auprès du corps et de prendre part aux préparatifs des obsèques. À la même époque elle s’occupait aussi d’affaires, ne se sentant pas tenue par ses vœux de se départir de ses biens. Elle céda la ferme de Pointe Saint-Charles à l’Hôpital Général des frères Charon. Ses directeurs spirituels pouvaient suspendre la règle du silence qu’elle s’était elle-même imposée, et il ne semble pas qu’on lui ait refusé la permission de recevoir des visiteurs chaque fois qu’elle le désirait. Ainsi, en 1693, elle eut une longue conversation avec Monsieur de La Colombière qui désirait réintégrer la compagnie des Sulpiciens.
Quand elle apprit que les sœurs de la Congrégation projetaient de construire une église sur leur propriété, elle leur fit un don généreux à condition qu’on lui réservât juste derrière l’autel un appartement d’où elle pût voir le Saint Sacrement sans quitter son logis. L’appartement, construit selon ses instructions précises, comportait trois pièces superposées : au rez-de-chaussée, une sacristie où elle se confessait et recevait la communion ; à l’étage, une chambre à coucher très simple ; et, au-dessus, un atelier. De la sacristie, une porte donnait sur le jardin des religieuses. Dollier de Casson signa à titre de témoin le contrat qui fut passé devant le notaire Basset* et selon lequel les sœurs de la Congrégation s’engageaient à lui fournir le vêtement, la nourriture et le bois de chauffage, à offrir chaque jour des prières à son intention, et à la servir en l’absence de sa suivante. En retour, Jeanne Le Ber faisait don des fonds nécessaires à la construction et à la décoration de l’église et d’une rente annuelle de 75 écus.
Jeanne prononça les vœux solennels de réclusion le 5 août 1695, au cours d’une cérémonie à laquelle assistaient un grand nombre de curieux. Elle consacra beaucoup de son temps à la broderie et à la confection de vêtements d’église et de linge d’autel. Elle passait six ou sept heures par jour dans la prière et la méditation, et recevait la communion quatre fois par semaine. Quand les religieuses de la Congrégation se retiraient pour la nuit, Jeanne restait des heures prostrée devant l’autel de l’église déserte et silencieuse. Au dire de son confesseur, elle ne trouvait pas dans ses actes d’abnégation la consolation absolue et les exercices religieux lui étaient toujours un fardeau.
Elle institua la pratique de l’adoration perpétuelle du Saint Sacrement et fit cadeau d’une somme de 300 écus aux religieuses de la Congrégation pour en assurer l’observance. Elle leur donna en outre un montant de 8 000 écus pour la célébration perpétuelle du Saint Sacrifice, et aussi le tabernacle, le ciboire, le calice, l’ostensoir et une lampe en argent pour la chapelle.
Jeanne Le Ber, qui était très célèbre dans toute la colonie, continuait de recevoir de temps à autre de distingués visiteurs. À son retour de France en 1698, l’évêque de Québec, Monseigneur de Saint-Vallier [La Croix], lui rendit visite accompagné de deux Anglais dont un était pasteur. Son père allait la voir deux fois par an. Il avait demandé d’être inhumé dans l’église des sœurs de la Congrégation pour être près de sa fille. On acquiesça à sa demande mais, au grand désappointement des curieux, Jeanne n’assista pas à ses obsèques.
En septembre 1714, atteinte d’une maladie grave qui allait d’ailleurs l’emporter, elle se départit du reste de ses biens. Elle légua aux religieuses de la Congrégation tous ses meubles et une somme de 18 000 écus dont le revenu devait servir à l’entretien de sept pensionnaires. Elle mourut le 3 octobre et fut inhumée près de son père.