Sainte Marie de l’Incarnation

 
 

Enfance:

Marie Guyart est née en France, à Tours, probablement rue des Tanneurs. Ses parents, Florent Guyart et Jeanne Michelet, sont maîtres-boulangers et ils ont eu sept enfants. C’est un foyer catholique où les enfants sont encouragés à s’instruire. Au cours des trois premières décennies de sa vie, elle vivra au sein du monde des artisans et de la moyenne bourgeoisie commerçante de Tours.Elle y a vécu quarante ans, de sa naissance jusqu’à son départ vers le Canada, soit de 1599  à 1639.

 

Jeunesse, grâces mystiques

On sait peu de choses précises de son éducation. Elle fréquenta l’école. Elle avoue avoir reçu une « bonne éducation » qui lui « avait fait un bon fonds dans [s]on âme pour toutes les choses du christianisme et pour les bonnes mœurs ». À l’âge de sept ans, elle a une première grâce mystique qui la conduit à se donner au Christ. Elle fait alors un rêve marquant qu’elle racontera elle-même bien plus tard (1653) : « En mon sommeil, il me sembla que j’étais dans la cour d’une école champêtre, avec quelqu’une de mes compagnes… Ayant les yeux levés vers le ciel, je le vis ouvert et Notre-Seigneur… en sortir et qui par l’air venait à moi qui, le voyant, m’écriai à ma compagne : “Ah! Voilà Notre-Seigneur ! C’est à moi qu’il vient !” […] Mon cœur se sentit tout embrasé de son amour. Je commençai à étendre mes bras pour l’embrasser. Lors, lui, le plus beau de tous les enfants des hommes, avec un visage plein d’une douceur et d’un attrait indicible, m’embrassant et me baisant amoureusement me dit : “Voulez-vous être à moi?” Je lui répondis : “Oui” — Lors, ayant ouï mon consentement, nous le vîmes remonter au ciel ».

Vers l’âge de 14 ans, elle est attirée par la vie cloîtrée. Elle manifeste son désir d’entrer chez les bénédictines de Beaumont, un ordre religieux établi dans la région. Ses parents, qui ne comprennent pas son aspiration à la vie religieuse, la marient à 17 ans avec le maître ouvrier en soie Claude Martin. De leur union naîtra Claude le . Six mois plus tard, elle devient veuve à 19 ans alors que la petite fabrique est en faillite. Elle se retrouve avec des biens à liquider et des dettes sur les bras, en plus d’un enfant à élever. Elle décide de retourner chez son père. On lui fait sentir qu’un nouveau mariage réglerait ses problèmes matériels. Mais l’appel de Dieu et de la solitude est bien trop fort.

Le , elle vit une expérience mystique qu’elle appelle sa « conversion » : l’irruption du Christ dans sa vie. Elle se confesse au premier religieux qu’elle rencontre et se sent transformée. Elle aspire à une vie de recluse, mais sa sœur Claude, mariée à Paul Buisson, marchand, l’invite en 1621 à vivre chez elle. Elle accepte cette offre pour assurer sa subsistance et celle de son fils. Marie désire y mener une vie d’abnégation et de servitude. Pourtant, ses talents d’administratrice sont reconnus et le couple espère qu’elle les aidera à consolider leur entreprise de transport fluvial en difficulté. Elle prend parfois le rôle de gérante lorsque les deux patrons en titre sont hors de la ville. On ira jusqu’à lui confier la direction de l’entreprise en 1625. Cette même année, les grâces mystiques la conduisent à l’union au Christ. Elle ne peut entrer en religion parce qu’elle doit élever son fils Claude, mais elle fait déjà à cette époque vœu de chasteté, de pauvreté et d’obéissance. Le 25 janvier 1631, elle entre au couvent des Ursulines de Tours.

Vision mystérieuse du Canada:

Quelques années plus tard, elle eut une vision mystérieuse. « Une nuit, rapportera-t-elle, il me fut représenté en songe que j’étais avec une dame séculière que j’avais rencontrée par je ne sais quelle voie. Elle et moi quittâmes le lieu de notre demeure ordinaire. Après bien des obstacles, enfin nous arrivâmes à l’entrée d’une belle place à l’entrée de laquelle il y avait un homme vêtu de blanc et la forme de cet habit comme on peint les Apôtres. Il était le gardien de ce lieu. Il nous y fit entrer. Ce lieu était ravissant, il n’avait point d’autre ouverture que le ciel, le silence y était qui faisait partie de sa beauté. J’avançais dedans, j’aperçus une petite église sur laquelle la Sainte Vierge était assise qui tenait son petit Jésus entre ses bras. Ce lieu était très éminent, au bas duquel il y avait un grand et vaste pays plein de montagnes, de vallées et de brouillards épais qui remplissaient tout. La Sainte Vierge, Mère de Dieu, regardait ce pays autant pitoyable qu’effroyable. Il me semblait qu’elle parlait à son béni Enfant de ce pays et de moi et qu’elle avait quelque dessein à mon sujet. Elle me baisa par trois fois, remplissant mon âme par ses caresses d’une onction et d’une douceur qui est indicible. »

Cette vision soulève dans le cœur de notre ursuline une intense ardeur apostolique : de son cloître, elle va faire tout ce qu’elle peut pour obtenir le salut des âmes qui sont dans les régions sauvages entrevues. Ce n’est qu’en janvier 1635 qu’elle apprend le sens du songe de Noël 1633 : « Étant en oraison devant le Saint-Sacrement, cette adorable Majesté me dit ces paroles : “ C’est le Canada que je t’ai fait voir, il faut que tu y ailles faire une maison à Jésus et à Marie. ” » De la même manière, elle apprend que le gardien du pays entrevu est saint Joseph.

Le Canada ! Jusqu’à ce jour elle croyait qu’il s’agissait d’un pays mythique inventé pour faire peur aux enfants turbulents. Et voici qu’elle se trouve à présent choisie pour y aller fonder une maison !

Voyage vers le Canada:

Le 22 février 1639, Mère Marie de l’Incarnation et Mère Saint-Joseph quittent leur monastère de Tours pour aller au Canada. Elles sont escortées de Madame Madeleine Chauvigny de la Peltrie, qui leur fournit les fonds nécessaires à la fondation du monastère à Québec. Nos voyageuses se rendent à Dieppe, leur dernière étape avant le départ en mer. Mère Cécile de Sainte-Croix se joignit au groupe en partance pour Québec. L’embarquement a lieu le 4 mai au port de Dieppe. Sont aussi du voyage trois Augustines du Précieux-Sang, qui, grâce à la fondation de Madame La Duchesse d’Aiguillon, passent au Canada pour soigner les malades français et indigènes. Madame la Gouvernante de Dieppe prend les partantes dans son carosse et les conduits jusqu’à l’embarcadère. 

Dans une de ses lettres à la supérieure des Ursulines de Dieppe, Mère Cécile de Ste-Croix rapporte comment le voyage fut mouvementé: « Nous eûmes une furieuse tempête qui dura quinze jours, avec fort peu d’intervalle, si bien que toute la semaine des Rogations, compris le jour de l’Ascension, nous fûmes privées d’ouïr la sainte messe et de la sainte communion. Nous eûmes la même mortification le jour de la Pentecôte; le vaisseau était tellement agité durant tout ce temps qu’il était impossible de se tenir debout, ni de faire le moindre pas sans être appuyée, ni même être assise sans se tenir à quelque chose, ou bien on se trouvait incontinent roulée à l’autre côté de la chambre ».

« Le jour de la Sainte Trinité, écrit Mère Cécile de Sainte-Croix à sa Mère Supérieure, environ sur les dix heures du matin, comme nous disions none du grand office, nous entendîmes des cris lamentables du matelot. Nous ne laissions pourtant de poursuivre, ne sachant que c’était, lorsque le Révérend Père Vimont descendit en notre chambre qui nous dit: « Nous sommes morts, si Notre-Seigneur ne nous fait miséricorde; il y a un glaçon (iceberg) qui va aborder le navire et n’en est plus qu’à dix pas, lequel est grand comme une ville. » Et s’étant alors mis à genoux, et nous aussi, il dit ces paroles que Saint François-Xavier avait autrefois dites en un pareil danger: « Jésus, mon Rédempteur, faites-nous miséricorde! » Cela fait, il nous dit : « Je m’en vais aux matelots, et puis je reviendrai ici vous donner l’absolution. Nous avons encore une demi-heure ». Lorsque j’entendis du Père:  »Nous sommes morts! » je n’avais point eu peur auparavant. Je n’eus temps pour me résoudre, car aussitôt Monsieur Bontemps entra dans la chambre et nous dit:  »Nous sommes garantis ! mais c’est un miracle. » Et à l’instant, il nous montra le glaçon (iceberg) au derrière du navire, duquel on ne pouvait voir le sommet, à raison des brumes qui étaient fort grosses et ont duré longtemps, si bien que nous nous sommes vues encore une fois en péril, proche des terres que l’on ne voyait point. Nous avons attribué notre délivrance aux prières que vous faisiez pour nous. Un seul homme qui tenait le gouvernail, tourna alors si droitement le navire, lequel allait de grande vitesse fondre sur le glaçon, qu’on a tenu une chose impossible qu’un homme pût faire cela ».  

 
 

Religieuse missionnaire à Québec

Sainte Marie de l’Incarnation débarque à Québec le 1er août 1639 et y fonde un monastère et une première école pour jeunes filles dans la basse-ville. En 1642, les Ursulines s’installent dans un nouveau monastère en pierre dans la haute-ville. Marie de l’Incarnation se consacre avec zèle à l’éducation des filles françaises et autochtones. 

Pourtant, elles auront de la difficulté à enseigneur le français aux Amérindiennes. Avec le déclin démographique qui bouleverse la population amérindienne et une réticence de plus en plus grande des parents amérindiens à confier leurs filles aux Ursulines, Marie de l’Incarnation devra s’éloigner de son rôle de missionnaire pour se consacrer davantage à l’instruction des jeunes filles françaises de la colonie.

Le tremblement de terre en 1663:

Même si elle est cloîtrée, Marie de l’Incarnation joue un rôle actif dans la vie de la colonie. En 1663, elle est témoin d’un tremblement de terre à Québec. Elle narre l’événement dans l’abondante correspondance qu’elle a avec son fils. L’ursuline voit dans la catastrophe un signe de Dieu punissant le commerce d’alcool entre les colons et les Amérindiens. Elle se voit aussi mêlée à une épidémie de vérole qui atteint durement les peuples autochtones : son monastère se voit transformé en hôpital à quelques reprises. Elle commente aussi abondamment les guerres franco-iroquoises et la destruction de la Huronnie.

Marie de l’Incarnation, par ses écrits, est considérée par plusieurs historiens comme étant l’auteur de la première mention en français, et non plus en latin, de l’identité canadienne des colons, en vertu d’une lettre datée du 16 octobre 1666.

Décès:

Elle meurt de vieillesse le 30 avril 1672 à Québec à l’âge de 72 ans. Elle est associée à la vie de la petite colonie française fondée à Québec, en 1608, qui, sans elle et ses compagnes, aurait difficilement survécu. Son tombeau se trouve dans la chapelle des Ursulines: 12, rue Donnacona, Québec (Qc), Canada.